Souvent, elle en reste « tétanisée » : ces douleurs lui pourrissent la vie. Qui plus est, ses règles sont toujours abondantes et la fatigue omniprésente.
Dans la BD d’investigation Endogirls¹, Laura partage son quotidien : celui d’une assistante administrative souffrant d’endométriose. « Cette maladie gynécologique touche entre 10% et 20% des femmes en âge de procréer », explique le Docteur Érick Petit, radiologue et responsable du centre expert de l’hôpital Paris Saint-Joseph. Une maladie dont on ne guérit pas et qui peut être très difficile à vivre. L’enquête EndoVie2 en dit long sur son impact : en moyenne, les patientes déclarent 4,6 symptômes.
Le plus fréquent ? Les douleurs aiguës pendant les règles et souvent au-delà. Citons également les troubles digestifs, les saignements anormaux, la fatigue chronique… Ce qui affecte, bien sûr, la vie professionnelle de ces femmes : leur concentration est réduite, elles ont des difficultés à effectuer certaines tâches…
Même des postes sédentaires peuvent être compliqués à gérer, la position assise n’étant pas la meilleure quand on souffre d’endométriose.
1. Endogirls, de Nathalie André et Violette Suquet, au Courrier du livre graphic.
Auto-entreprenariat
Comme 65% des endogirls, Laura en pâtit au travail. À tel point qu’elle finit par démissionner, privilégiant l’auto-entreprenariat. Un changement de cap qui n’est pas rare. « On en voit de plus en plus », confirme Yasmine Candau dans Endogirls. « Cela leur permet de concilier au mieux temps de travail, douleur et fatigue », ajoute la présidente de l’association EndoFrance.
Aménagement de poste, changement de mission…
Avant d’opter pour la démission, il est toutefois possible de se tourner vers la médecine du travail, qui « peut préconiser des aménagements de poste pour raison médicale », détaille Yasmine Candau. Reste à voir « si le poste est adaptable », fait remarquer Solenn Gehannin, présidente de l’association Bretagne Endométriose. Autre option : demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui permet, elle aussi, d’aménager le poste de travail (mobilier, horaires, télétravail lorsque c’est envisageable), voire d’obtenir un changement de mission. Enfin, souvent nécessaire après une chirurgie ou un arrêt de longue durée, le mi-temps thérapeutique, proposé par le médecin traitant, peut favoriser un retour en douceur dans l’entreprise. Des mesures à déployer en veillant, bien sûr, au respect du secret médical. « Ni la direction, ni le management, ni le personnel n’ont besoin de connaître la pathologie d’une salariée pour travailler avec elle en appliquant les aménagements prévus », insiste l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions du travail.
Préjugés tenaces
« Les règles douloureuses, on est toutes passées par là ». Certains préjugés sont tenaces. Des actions de sensibilisation en entreprise, menées notamment par les associations EndoFrance et ENDOmind, sont donc nécessaires, le but étant de prévenir les discriminations.
Certaines entreprises et collectivités vont plus loin. En mars 2023, Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, a été la première ville de France à instaurer un congé menstruel. « Une question de justice sociale », d’après son maire, Karim Bouamrane.
D’autres lui ont emboîté le pas. Depuis le 2 septembre 2024, les agentes « en souffrance » de l’Eurométropole de Strasbourg peuvent bénéficier de 13 jours annuels d’absence exceptionnelle et de jours de télétravail supplémentaires. Objectif ? « Prendre en compte la santé des femmes au travail », nous a-t-on répondu. Un dispositif qui comprend des formations destinées aux chefs d’équipe. Toujours dans l’optique de sensibiliser à une maladie qui touche entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France.
Des entreprises se mobilisent aussi. En avril 2023, Carrefour a annoncé la mise en place de mesures inédites. Parmi lesquelles, 12 jours d’absence par an pour ses salariées atteintes d’endométriose. Un dispositif qui a été « très bien accueilli en interne », nous a précisé l’enseigne de grande distribution. Des initiatives saluées, mais qui pointent l’absence de mesures nationales. Pour l’heure, « il n’y a pas d’équité. C’est au bon vouloir des structures », conclut Solenn Gehannin.
Nathalie André
Le mot du pro
Nathalie André et Violette Suquet
Qu’est-ce qui vous a amené à faire cette enquête sur l’endométriose ?
Nathalie André : C’est mon travail de journaliste au Télégramme (quotidien breton) et mon intérêt pour la santé des femmes. En 2018, je me suis aperçue qu’on commençait à parler de l’endométriose et j’ai lancé un appel à témoignages sur le site du Télégramme. J’ai eu plus de 900 témoignages de femmes en 72 h ! On n’avait jamais vu ça auparavant. J’ai donc lu ces témoignages, ce que vivaient ces femmes et j’ai commencé à faire des articles sur le sujet. Et puis, j’ai rencontré Violette sur Instagram, et comme nous sommes toutes les deux du Finistère nord, on s’est rencontré et je lui ai proposé de raconter cette enquête en BD.
Violette Suquet : Oui, on travaille toutes les deux sur la santé de la femme, c’est notre cheval de bataille et cela nous a réunies dans ce projet, sans être personnellement concernées par l’endométriose.
Quels sont les freins que vous avez pu rencontrer ?
Nathalie André : Certains professionnels de santé, gynécologues, qui ne comprenaient pas pourquoi une journaliste écrivait un livre sur l’endométriose. Pour eux, c’était réservé aux médecins. Or, une maladie peut être étudiée par la sociologie, l’histoire et la psychologie. Seuls le diagnostic et les soins sont réservés à la médecine. On peut donc s’intéresser à la santé sans être médecin, loin de cette sorte d’hégémonie d’une partie du corps médical sur la détention de l’information. Puis, j’ai rencontré des professionnels de santé qui étaient très ouverts à notre projet. Le plus important c’est qu’une fois que Violette a réalisé toutes les planches, j’ai fait relire l’ensemble par les femmes concernées. Ça a vraiment été validé par elles, il n’y avait aucun piège.
Quelle réception a votre BD-enquête auprès des femmes lors de vos dédicaces ?
Violette Suquet : Elles ont beaucoup de bienveillance. Certaines pleurent, nous disent « Merci ! ». Nous, on ne s’attendait pas à trouver cet accueil-là ! Imaginez, je ne les connais pas, elles s’assoient en face de moi et se mettent à pleurer en disant « Mais pourquoi vous ne l’avez pas écrit avant ? »… Et moi, je pleure avec elles… Ou elles nous disent : « Enfin, quelqu’un qui écrit quelque chose sur ce que je vis »… À aucun moment, on avait anticipé ça, comme au festival Brest en bulle, il y avait une maman dont la fille souffre énormément et cette maman était très émue en nous racontant la vie de sa fille. Endogirls, c’est une BD de témoignages, ce qui rend le travail d’enquête et d’information facile à lire par les adultes, mais aussi par les adolescentes, sans oublier les hommes dont la compagne ou la fille peut en souffrir.
Merci Nathalie André et Violette Suquet pour cet entretien. C’est effectivement une BD qui se lit en entier, ou par passages de quelques minutes et elle gagnerait vraiment à être accessible dans les salles de pause au travail pour contribuer à une première sensibilisation à cette maladie qui touche une femme sur 10 !
Propos recueillis par Sébastien VAUMORON, Responsable Prévention Collecteam
Retrouvez le replay de notre webinaire sur l’endométriose ci-dessous