Selon France Travail, les employeurs prévoyaient près de 2,8 millions de recrutements en 2024, et anticipaient des difficultés pour 57,4 % de ces projets¹. Face à une pénurie de candidats touchant de nombreux secteurs, ainsi qu’à de nombreuses difficultés pour attirer les talents, comment les entreprises peuvent-elles repenser leur recrutement ? Implication des dirigeants, intelligence artificielle, marque employeur… Cécile André, fondatrice de La Recrue, un service de ressources humaines externalisé, fait le tour de la question.
¹ « Enquête « Besoin en main d’œuvre (BMO) » des entreprises : près de 2,8 millions d’intentions d’embauche en 2024 », France Travail, 24/04/2024.
Quels sont les secteurs actuellement touchés par une pénurie de talents ?
Certains secteurs font face à une réelle pénurie de talents, notamment le secteur du bâtiment, le secteur médical et paramédical, le secteur des services à la personne. Nous observons également des tensions pour certains profils spécifiques, tous secteurs confondus, notamment concernant les métiers techniques. C’est le cas par exemple des métiers de la paie ou de l’industrie, les infirmier(e)s ou les médecins, qui sont particulièrement difficiles à pourvoir.
D’après vos observations, quelles nouvelles stratégies sont déployées par les entreprises pour attirer les talents ?
J’ai pu observer de réelles évolutions du marché ces dernières années. Dans les entreprises que nous accompagnons, nous sentons que les dirigeants s’impliquent personnellement dans le process, ce qui n’était pas le cas avant. Le recrutement n’est plus que l’apanage des ressources humaines, c’est l’affaire de tous ! En parallèle, les entreprises se sont emparées des réseaux sociaux pour leurs projets de recrutement. Linkedln, bien sûr, mais également TikTok ou même Facebook : de nombreuses offres sont publiées sur ces canaux, en fonction des profils recherchés.
De manière générale, les entreprises investissent plus de moyens dans le recrutement, qu’il s’agisse de stratégie de communication, de méthodes ou même d’équipements. Si elles pouvaient se passer de ces investissements il y a quelques années, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Comment accompagnez-vous les entreprises qui ont du mal à recruter dans un contexte de pénurie de talents ?
Nous commençons toujours par réaliser un état des lieux : ce qui fonctionne, ce qui fonctionne moins bien, ce que les entreprises n’ont pas encore mis en place. Il y a une vraie concurrence sur le marché de l’emploi, il est donc important que les entreprises observent les pratiques de leurs concurrents, en se posant la question suivante : pourquoi le candidat choisirait mon entreprise ? Quels sont mes arguments ? Parfois, nous nous rendons compte
que les entreprises n’ont pas formulé de politique RH, ne communiquent pas sur leurs avantages ou sur la rémunération par exemple. Cet état des lieux est donc essentiel pour ensuite identifier des éléments différenciants. Nous vérifions que la proposition d’entreprise n’est pas décorrélée avec la réalité du marché, avec lequel il est essentiel de s’aligner.Une fois ce travail sur le fond opéré, place à la forme ! Les entreprises doivent vérifier comment les candidats ont accès aux informations, ce qui se dit sur elles, que ce soit via les sites d’avis ou même la presse. Les arguments doivent être formulés, puis communiqués de la bonne façon, via le bon canal.
Former les managers à prendre la parole, à mener des entretiens est également important. L’expérience candidat est un point essentiel du recrutement : vous avez beau attirer les meilleurs talents, si vous ne savez pas les recevoir en entretien, il sera difficile de faire la différence.
Si ce qui a été mis en place ne fonctionne pas, ce n’est pas grave, il faut tester autre chose. Le recrutement, c’est une recette complexe, à ajuster au fil du temps…
Quel rôle joue la marque employeur dans le contexte actuel ? Quels outils ou actions recommandez-vous aux entreprises pour améliorer leur attractivité ?
La marque employeur va bien au-delà de la simple communication RH, qui n’est que la partie visible. Une stratégie de marque employeur n’est efficace que si elle repose sur des fondamentaux solides. L’essentiel est d’assurer l’alignement et la cohérence entre la stratégie RH, le recrutement et la communication.
Pour être efficace, il n’est pas nécessaire de mettre en place une stratégie complexe. Je recommande plutôt une approche progressive, avec des petites actions ciblées et durables dans le temps. L’important est d’être performant sur l’ensemble des aspects de la marque employeur, tout en se différenciant sur certains points spécifiques.
Il est également crucial de rester en phase avec le marché, qui change très rapidement. Les entreprises ne peuvent pas se reposer sur des pratiques qui fonctionnaient il y a quelques années : les candidats, les outils, les méthodes de recherche d’emploi et la concurrence évoluent constamment.
Comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle les pratiques de recrutement actuelles ?
L’intelligence artificielle est un réel gain de temps pour les équipes des ressources humaines sur les tâches à faible valeur ajoutée, comme la création de fiches de poste, le tri des CV, la rédaction de synthèses d’entretien. Elle permet de nous concentrer sur l’humain, la détection des talents, la prise de décision et les échanges qualitatifs. Il faut cependant rester vigilants concernant la configuration des différents outils et effectuer un contrôle en permanence pour éviter les biais ou les erreurs.
Selon vous, quels changements sont nécessaires, tant au niveau de la formation que des pratiques RH, pour répondre durablement à la pénurie de talents ?
Les entreprises évoluent beaucoup plus rapidement que les formations académiques, ce qui crée un décalage pour l’insertion des jeunes diplômés. Plusieurs évolutions sont nécessaires du côté des entreprises face à cette problématique : intégrer pleinement la notion de formation continue, accepter d’embaucher des profils qui n’ont pas toutes les compétences techniques mais qui démontrent une forte capacité d’apprentissage, repenser l’organisation des métiers, en découpant certains postes ou en automatisant les tâches à faible valeur ajoutée par exemple.
Il faut garder à l’esprit que la majorité des métiers de 2030 n’existent pas encore. Les entreprises doivent donc devenir leurs propres écoles et développer leur capacité à former et faire évoluer leurs collaborateurs. L’enjeu n’est plus tant de recruter des experts du métier recherché, mais plutôt des individus capables de s’adapter et d’évoluer avec l’entreprise.