Comment gérer les demandes de dispense des salariés couverts en tant qu’ayants droit par un autre contrat collectif et obligatoire ?
Depuis le 1er janvier 2016, tous les employeurs doivent mettre en œuvre pour leurs salariés un régime de remboursement complémentaire de frais de santé, à adhésion obligatoire, conformément aux dispositions de l’article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale.
Parallèlement, les contributions des employeurs finançant une telle couverture peuvent être exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale si, entre autres, l’adhésion des salariés y est obligatoire. Le Code de la Sécurité sociale autorise, par exception à ce principe, différents cas de dispense d’adhésion qui ne remettent pas en cause cette exclusion d’assiette.
La jurisprudence, à l’occasion d’une décision de la Cour de cassation du 7 juin 2023¹, puis l’administration sociale, via la rubrique protection sociale complémentaire du Bulletin officiel de la Sécurité sociale (« BOSS ») ont apporté des précisions sur l’une de ces hypothèses de dispense les plus fréquentes : le cas du salarié couvert en tant qu’ayant droit par un autre contrat collectif et obligatoire (par exemple, celui de son conjoint également
salarié).
Cette situation constitue une dispense à la fois « d’ordre public » et « facultative ». La distinction fondamentale entre ces types de dispense tient à la date à laquelle elles peuvent être sollicitées et à leur force obligatoire vis-à-vis de l’employeur. Dans ce contexte, nous vous proposons d’abord de revenir sur le cadre juridique et général de mise en œuvre des dispenses d’adhésion à un régime de frais de santé (1.), avant d’évoquer comment,
concrètement, peut désormais être gérée celle relative aux salariés couverts par un autre contrat en tant qu’ayant droit (2.).
1. Cass. soc., 7 juin 2023, pourvoi n° 21-23.743
1. Modalités de dispense à un régime frais de santé
Il existe deux types de dispense :
- les dispenses d’ordre public²
Ces dispenses peuvent être sollicitées par les salariés ne souhaitant pas adhérer au contrat collectif sans qu’elles soient prévues par l’acte de droit du travail instituant les garanties. L’employeur ne peut s’opposer à ces demandes de dispense d’adhésion. Toutefois, cette demande ne peut être effectuée qu’à certains moments, tels que, lorsque le salarié est couvert en tant qu’ayant droit par un autre contrat : au moment de l’embauche, à la date de mise en place des garanties, à la date à laquelle prend effet la couverture permettant au salarié de solliciter la dispense.
- les dispenses dites « facultatives »³
Les dispenses dites « facultatives » ne peuvent être utilisées par les salariés que si elles sont expressément mentionnées dans l’acte de droit du travail instituant les garanties. Si tel est le cas, l’employeur est tenu de les accepter. Cette dispense peut être sollicitée à tout moment, sauf disposition plus contraignante dans l’acte de formalisation.
La dispense qui nous intéresse, à savoir celle concernant le salarié couvert en tant qu’ayant droit par un autre contrat collectif et obligatoire constitue donc à la fois une dispense d’ordre public et facultative.
2. Articles L. 911-7 et D. 911-2 du Code de la Sécurité sociale
3. Article R. 242-1-6 du Code de la Sécurité sociale
2. Gestion de la dispense relative aux salariés couverts par un autre contrat en tant qu’ayant droit
Dans quels cas l’employeur est-il tenu d’accepter la demande de dispense du salarié ?
Nous vous proposons de revenir sur le contexte juridique propre à la dispense des salariés couverts par un autre contrat en tant qu’ayant droit (2.1.), avant de détailler les conditions dans lesquelles cette dispense est mobilisable (2.2.). En tout état de cause, la demande de dispense doit respecter un certain formalisme pour être acceptée par l’employeur (2.3.).
2.1. Contexte juridique
Pour que le financement patronal bénéficie d’une exclusion de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale, la Direction de la Sécurité sociale indiquait dans une circulaire du 25 septembre 2013⁴ que le salarié ne pouvait être dispensé d’adhérer au dispositif que si la couverture de son conjoint, salarié dans une autre entreprise, imposait l’adhésion des ayants droit à titre obligatoire.
Cette circulaire a cependant été abrogée et remplacée par la rubrique protection sociale complémentaire du BOSS entrée en vigueur le 1er septembre 2022. Cette dernière n’ayant pas expressément repris la précision aux termes de laquelle la couverture du conjoint devait prévoir une adhésion de l’ayant droit à titre obligatoire, ce point a pu faire l’objet de débats.
À ce propos, la Cour de cassation a décidé le 7 juin 2023, en synthèse, que la dispense d’adhésion au régime complémentaire collectif et obligatoire n’est pas subordonnée à la justification que le salarié bénéficie, à titre obligatoire, en qualité d’ayant droit, de la couverture obligatoire de son conjoint.
Il s’agit toutefois de l’analyse de la chambre sociale de la Cour de cassation, rendue à l’occasion d’un contentieux prud’homal opposant le salarié à son employeur. Au plan du droit des charges sociales, il n’était pas certain que l’analyse soit la même, faute de précision dans le BOSS. En outre, la décision concernait une hypothèse de dispense facultative, le raisonnement pouvait donc être différent s’agissant des dispenses d’ordre public. Dans ces circonstances, la prudence induisait de restreindre cette dispense aux ayants droit couverts à titre obligatoire. Il en résultait alors une contradiction entre le droit du travail et le droit des charges sociales.
La doctrine afférente au droit des charges sociales a été alignée sur l’analyse de droit du travail de la Cour de cassation.
Depuis le 1er mai 2024, il est désormais prévu dans le BOSS pour les dispenses :
> d’ordre public que « les salariés couverts en tant qu’ayants droit par un autre contrat collectif et obligatoire (par exemple, celui de leur conjoint également salarié), peuvent se dispenser à leur initiative de l’obligation d’adhésion, que cette couverture en tant qu’ayants droit soit facultative ou obligatoire »⁵.
> facultatives que « si l’acte de droit du travail le prévoit expressément, les salariés couverts en tant qu’ayants droit par un autre contrat collectif et obligatoire (par exemple, celui de leur conjoint également salarié), peuvent se dispenser à leur initiative de l’obligation d’adhésion, que cette couverture en tant qu’ayants droit soit facultative ou obligatoire. L’acte de droit du travail peut également limiter cette faculté de dispense aux ayants droit couverts uniquement à titre obligatoire par le régime d’accueil »⁶.
4. Circulaire DSS/SD5B n° 2013-344 du 25 septembre 2013, fiche 6, abrogée
5. BOSS, § 810
6. BOSS, § 870
2.2. Conditions dans lesquelles la dispense est mobilisable
Ces conditions varient selon que la dispense est d’ordre public (A.) ou facultative (B.).
A. La dispense d’ordre public
Le salarié doit rapporter la preuve qu’il bénéficie de la couverture obligatoire de son conjoint en qualité d’ayant droit, peu important désormais que cette couverture en tant qu’ayant droit soit facultative ou obligatoire, à des moments très précis, soit, selon le BOSS :
> au moment de l’embauche,
> à la date de mise en place des garanties,
> à la date à laquelle prend effet la couverture permettant au salarié de solliciter la dispense.
En dehors de ces cas, le salarié ne peut se prévaloir de cette dispense.
B. La dispense facultative
Si la dispense d’ordre public n’est pas mobilisable (notamment car le salarié ne l’effectue pas au moment opportun), l’employeur est-il tenu d’accepter la demande de dispense du salarié ?
- 2 cas de figure :
> si la dispense du salarié couvert en tant qu’ayant droit n’est pas prévue dans l’acte de droit du travail, celle-ci ne peut pas être mobilisée.
> si cette dispense est mentionnée, elle est mobilisable à tout moment, sauf disposition plus contraignante dans l’acte de formalisation. - Restriction possible :
Dans le prolongement de l’arrêt du 7 juin 2023, le BOSS a été modifié et indique désormais que, quand bien même l’acte de droit du travail prévoit la dispense des salariés couverts en tant qu’ayants droit par un autre contrat collectif et obligatoire, ce dernier peut « limiter cette faculté de dispense aux ayants droit couverts à titre obligatoire par le régime d’accueil ».
D’un point de vue pragmatique, cette évolution du BOSS implique :
> de vérifier la rédaction de l’acte de droit du travail et particulièrement les éventuels cas de dispense prévus. La couverture des salariés en tant qu’ayant droit, si elle est mentionnée, pourrait être modifiée, le cas échéant, pour en restreindre l’application aux seules hypothèses de couverture de l’ayant droit à titre obligatoire.
Cette restriction peut être formulée, à titre d’exemple, de la manière suivante : « ont la faculté de refuser d’adhérer au régime à tout moment, les salariés bénéficiaires, y compris en tant qu’ayant droit, d’une couverture collective relevant d’un dispositif de remboursement de frais de santé remplissant les conditions mentionnées au 4° du II de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (la dispense d’adhésion ne peut jouer que si ce dispositif prévoit la couverture des ayants droit à titre obligatoire), à condition de le justifier chaque année ».
> si l’acte de droit du travail prévoit ce cas de dispense, et n’en restreint pas l’application, cela peut avoir des incidences sur :
→ la gestion opérationnelle du régime. En effet, une telle faculté implique potentiellement des entrées et des sorties du régime plus fréquentes.
→ l’organisation du suivi et la conservation de tous les justificatifs idoines.
→ l’obligation pour les employeurs d’affecter à des avantages en matière de prévoyance (y compris, une couverture frais de santé⁷), une cotisation à leur charge exclusive égale à 1,50 % de la tranche A au bénéfice de ses salariés cadres et assimilés. Or, dans l’hypothèse où une entreprise prend en compte son financement du régime frais de santé pour le respect de cette obligation, la dispense d’un cadre, facilitée par la rédaction de l’acte de droit du travail, pourrait placer l’employeur en défaut.
2.3. Formalisme
Selon le BOSS, pour être admises, les dispenses d’adhésion doivent relever du libre choix du salarié, ce qui implique que chaque dispense résulte d’une demande explicite de sa part, traduisant un consentement libre et éclairé.
En théorie, cette demande du salarié peut a minima prendre la forme d’une déclaration sur l’honneur qu’il remet à son employeur :
> désignant l’organisme assureur lui permettant de solliciter la dispense ou la date de fin de droit,
> précisant les garanties auxquelles le salarié renonce,
> comportant la mention selon laquelle il a été préalablement informé par l’employeur des conséquences de son choix.
7. Cass. soc, 30 mars 2022, n° 20-15.022
À titre d’exemple, l’employeur devrait informer par écrit, et en conserver la preuve, le salarié couvert comme ayant droit à titre facultatif qu’il renonce, le cas échéant, à un régime de frais de santé devant être financé au moins à 50 % par son employeur au profit d’une couverture facultative et donc potentiellement sans participation patronale.
En cas de contrôle Urssaf, l’entreprise doit être en mesure de justifier la dispense de chacun des salariés concernés, le cas échéant, en produisant les justificatifs y afférant. Ces différents éléments doivent donc être collectés et conservés par l’entreprise.
En pratique, cette déclaration sur l’honneur peut paraître insuffisante pour démontrer à un inspecteur du recouvrement en cas de contrôle de la société que le salarié dispensé était bien dans la situation dans laquelle il prétendait être. Aussi, il est fréquemment exigé des salariés concernés qu’ils fournissent des justificatifs complémentaires, tels qu’une attestation d’assurance, qu’ils doivent, le cas échéant, produire chaque année.
Ces exigences de l’employeur pour accorder la dispense peuvent d’ailleurs être explicitées dans l’acte de droit du travail.