La loi renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, appelée loi « Evin », du nom du ministre de la Solidarité et de la Protection Sociale dans le gouvernement de Michel Rocard en 1989, est promulguée le 31 décembre 1989.
Cette dernière organise un corps de règles communes aux trois types d’organismes assureurs (les entreprises d’assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles) en matière d’assurance de personnes et renforce les garanties offertes aux assurés. Elle trouve ainsi notamment à s’appliquer en matière de prévoyance collective, avec des conséquences parfois significatives pour les entreprises. En effet, ces dernières doivent souscrire des contrats d’assurance, conformes à leurs obligations en matière de droit du travail, et d’éventuels aléas d’interprétation peuvent dans des certains cas conduire les organismes assureurs à ne pas verser de prestations, les salariés n’ayant alors d’autres choix que de se retourner contre leur employeur. Or, de son entrée en vigueur à aujourd’hui, la loi Evin a soulevé de nombreuses questions d’interprétation et d’articulation de ses dispositions qui ont donné lieu à une jurisprudence technique et pas toujours prévisible.
Tel est le cas notamment de ses articles 2 et 7, respectivement relatifs à la souscription et à la résiliation du contrat d’assurance. Dans ce Jurinfos, nous vous proposons d’évoquer les dispositions de l’article 2 de la loi Evin relatif à la souscription du contrat d’assurance (1.) et de l’article 7 qui encadre certaines conséquences de sa résiliation (2.).
1. La souscription du contrat d’assurance (article 2 de la loi Evin)
Il résulte de l’article 2 de la loi Evin que :
« [alinéa 1] Lorsque des salariés sont garantis collectivement, soit sur la base d’une convention ou d’un accord collectif, soit à la suite de la ratification par la majorité des intéressés d’un projet d’accord proposé par le chef d’entreprise, soit par décision unilatérale de l’employeur, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, l’organisme qui délivre sa garantie prend en charge les suites des états pathologiques survenus antérieurement à la souscription du contrat ou de la convention ou à l’adhésion à ceux-ci, sous réserve des sanctions prévues en cas de fausse déclaration.
[alinéa 2] Aucune pathologie ou affection qui ouvre droit au service des prestations en nature de l’assurance maladie du régime général de sécurité sociale ne peut être exclue du champ d’application des contrats ou conventions visés au premier alinéa dans leurs dispositions relatives au remboursement ou à l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident.
[alinéa 3] Le présent article est également applicable au titre des anciens salariés garantis en application de [la portabilité] ».
Cet article crée une obligation à la charge du nouvel organisme assureur concernant les suites d’un état pathologique survenu antérieurement à la souscription du contrat. En application de l’article 10 de la loi Evin, ces dispositions sont d’ordre public.
Ces dispositions ont vocation à s’appliquer dans l’hypothèse d’une première souscription d’un contrat d’assurance en l’absence d’organisme assureur précédant.
Sur ce fondement, la Cour de cassation considère qu’il est interdit à l’organisme assureur qui délivre sa garantie d’exclure une pathologie ou affection ouvrant droit au service des prestations en nature de l’assurance maladie¹.
Ainsi, la Haute juridiction a jugé qu’un organisme assureur ne peut exclure un salarié en arrêt de travail à la date d’effet du contrat :
- ni de la garantie décès²
- ni de la garantie invalidité³
Garantie « décès »
Dans cette affaire, un organisme assureur avait refusé sa garantie aux ayants droit d’un salarié décédé au motif que ce dernier était en arrêt de travail au jour de la souscription du contrat.
Or, selon la Cour de cassation : « le principe de non-sélection individuelle des risques résultant, en matière de prévoyance collective obligatoire, de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1989, prohibait une telle exclusion dès lors que celle-ci ne concernait pas la totalité du groupe de salariés »².
Garantie « invalidité »³
L’article 2 prohibe l’exclusion des salariés en arrêt de travail au jour de la souscription du contrat du bénéfice des garanties invalidité et décès, mais aussi, par analogie, l’exclusion des salariés invalides des garanties décès.
La prise en charge des sinistres déjà réalisés fait davantage débat. Cela concerne l’hypothèse dans laquelle un salarié en arrêt de travail, avant la souscription du contrat d’assurance, solliciterait auprès du nouvel organisme assureur la prise en charge de son incapacité (ou un salarié en situation d’invalidité avant la souscription du contrat qui sollicite le versement de rente d’invalidité en exécution du nouveau contrat d’assurance).
1 Cass. civ. 1ère, 7 juillet 1998, pourvoi n° 96-13.843
2 Cass. civ. 1ère, 13 février 2001, pourvoi n° 98-12.478
3 Cass. civ. 2ème, 3 février 2011, pourvoi n° 10-30.588
Une partie de la doctrine se fonde sur le caractère aléatoire du contrat d’assurance pour soutenir que l’article 2 de la loi Evin ne peut contraindre les organismes assureurs à couvrir des sinistres déjà réalisés.
La Cour de cassation ne s’est pas, à ce jour, prononcée dans un arrêt sur cette question. En revanche, la Cour a considéré dans son rapport annuel de l’année 2007 qu’il résulte de l’article 2 « que si l’assureur peut refuser de prendre en charge des risques d’ores et déjà réalisés, il ne peut opérer une sélection médicale en refusant d’assurer une personne du groupe ou de prendre en charge des risques dont la réalisation trouve son origine dans l’état de santé antérieur de l’assuré ».
En outre, certaines juridictions du fond ont été amenées à statuer sur ce cas particulier, à titre d’illustration :
- la Cour d’appel de Grenoble a jugé, le 29 octobre 1996, que l’article 2 impose « de prendre en charge les conséquences futures, mais non encore révélées lors de la souscription du contrat, des pathologies antérieures de l’assuré mais non pas pour autant les sinistres existants au moment de cette souscription »⁴,
- la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 1er octobre 2013⁵,
dont les magistrats ont considéré qu’une clause excluant du bénéfice des garanties les salariés dont le contrat de travail est suspendu à la date de la souscription du contrat d’assurance, n’est pas contraire à l’article 2 de la loi « Evin » dans la mesure où :
- cette clause n’a pas pour effet d’opérer une sélection médicale entre les salariés du souscripteur, puisque les salariés en arrêt maladie bénéficieront complètement du régime après la reprise de leur travail et,
- l’absence d’une telle clause aurait pour effet d’ôter tout caractère aléatoire au contrat de prévoyance.
Les juridictions administratives se sont également prononcées sur la question. À titre d’illustration, le Conseil d’Etat a considéré que le législateur « a entendu imposer aux assureurs la prise en charge des risques non encore réalisés à la date de souscription du contrat qui trouvent leur origine dans l’état de santé de l’assuré antérieur à la date d’effet du contrat » et que, par suite, « l’assureur ne peut refuser sa garantie aux assurés reconnus invalides postérieurement à la date de prise d’effet du contrat au motif que l’arrêt de travail est antérieur à cette prise d’effet »⁶.
Ainsi, nous comprenons de l’article 2 de la loi Evin, tel qu’interprété par la jurisprudence, que l’organisme assureur n’aurait pas à prendre en charge les sinistres déjà réalisés à la date d’effet du contrat. Cela implique que l’organisme assureur ne serait pas tenu de prendre en charge une incapacité de travail ou une invalidité reconnue avant la date d’effet du contrat. En revanche, si cette incapacité donne ensuite lieu à une invalidité, ou si cette invalidité évolue, l’organisme assureur aurait l’obligation de prendre en charge ces suites pathologiques. Toutefois, la notion de « suite des états pathologiques » reste en l’état ambigüe de sorte que les modalités d’application de l’article 2 font encore l’objet de débats, particulièrement s’agissant des sinistres déjà réalisés à la date d’effet du contrat en l’absence d’organisme assureur tenant. En effet, dans cette hypothèse, les salariés pourraient ne pas être couverts au titre de sinistres déjà réalisés.
4 CA Grenoble, 29 octobre 1996, n° 95/1076. Cette décision est devenue définitive à défaut de pourvoi en cassation.
5 CA Paris, 1er octobre 2013, Chambre 5 Pôle 2, RG n° 10/22094. Cette appréciation est définitive car la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la question de l’application de l’article 2 de la loi « Evin » à l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel (Cass. civ. 2e, 15 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.215).
6 CE, 7e et 2e Chambres réunies, 6 décembre 2017, n° 402923
2. La résiliation du contrat d’assurance (article 7 de la loi Evin)
Aux termes de l’article 7 de la loi Evin :
« [alinéa 1] Lorsque des assurés ou des adhérents sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d’incapacité ou d’invalidité, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution. Le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non-renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention. De telles révisions ne peuvent être prévues à raison de la seule résiliation ou du seul non-renouvellement.
[alinéa 2] L’engagement doit être couvert à tout moment, pour tous les contrats ou conventions souscrits, par des provisions représentées par des actifs équivalents. »
Il résulte de ce texte un principe général selon lequel l’organisme assureur tenant (assureur A) ne peut prétexter de la résiliation du contrat d’assurance pour refuser le versement des prestations en cours et afférentes à un risque déjà réalisé. Conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi Evin, ces dispositions sont d’ordre public.
Sur ce fondement, dans un arrêt de principe du 16 janvier 2007 dit « Mozet »⁷, la Cour de cassation s’est prononcée sur la notion de prestations « différées », et a considéré que l’invalidité survenue postérieurement à la résiliation du contrat d’assurance doit être prise en charge par l’organisme assureur résilié, dès lors qu’elle est consécutive à la maladie dont était atteint le salarié pendant l’exécution du contrat d’assurance.
Par la suite, la Cour de cassation a transposé ce principe dans l’hypothèse d’une rechute⁸.
Récemment encore, la Haute juridiction a pu rappeler ce principe en jugeant que l’assureur A devait prendre en charge les conséquences d’une pathologie dont les premières manifestations cliniques étaient apparues au cours de son contrat, quand bien même le certificat médical faisant état de cette pathologie avait été délivré postérieurement à la résiliation de son contrat. Dans cette hypothèse, les juges ont refusé de conditionner la prise en charge du sinistre à la reconnaissance du fait générateur antérieurement à la résiliation du contrat.
7 Cass. soc., 16 janvier 2007, pourvoi n° 05-43.434
8 Cass. 2ème civ., 12 avril 2012, pourvoi n° 11-17.355 ; Cass. civ. 2ème, 17 juin 2010, pourvoi n° 09-15.089
Ces décisions soulignent l’importance du fait générateur qui prévaut sur la résiliation du contrat d’assurance.
Aussi, le nouvel assureur ne devra sa garantie, sur le fondement l’article 2 de la loi Evin, que si l’invalidité n’est pas la conséquence de l’incapacité survenue sous l’empire du premier contrat⁹.
Attention toutefois, cette position n’interdit pas aux organismes assureurs de définir les conditions d’ouverture du droit à prestations. Tel est le cas des franchises. En effet, le contrat peut prévoir une prise en charge sous réserve pour l’assuré d’être en arrêt de travail depuis une certaine durée (par exemple 90 jours).
Dans cette hypothèse, pour que l’article 7 de la loi Evin trouve à s’appliquer, la Cour de cassation a jugé que « le droit à prestation doit déjà être ouvert, la survenance du risque lors de l’exécution du contrat ne suffisant pas »¹⁰. Les assureurs peuvent ainsi prévoir des dispositions contractuelles pour l’acquisition des garanties, sans que cela ne soit contraire à l’article 7. Or, si le premier assureur peut valablement refuser l’indemnisation d’une incapacité survenue sous l’empire de son contrat au motif que le fait générateur de sa garantie est conditionné au fait que le terme de la franchise survienne pendant son contrat, le nouvel assureur pourrait tout aussi valablement stipuler que sa garantie n’est due que si l’incapacité intervient pendant son propre contrat. Cette situation pourrait donc conduire à une absence de garantie alors même que l’entreprise a souscrit deux contrats successifs. Il convient donc d’être particulièrement vigilant en la matière.
9 Cass. 2ème civ., 7 novembre 2024, pourvoi n° 23-11.055
10 Cass. 2ème civ., 10 mai 2007, pourvoi n° 06-15.108 ; dans le même sens : Cass. 2ème civ., 22 janvier 2009, pourvoi n° 07-21.093