Comment les managers peuvent-ils protéger leurs équipes ?
Selon une étude de l’IFOP, près d’une femme sur trois a déjà été confrontée à une situation de harcèlement sexuel au sein de son entreprise[1]. Le harcèlement sexuel, qui touche tous les secteurs d’activité et toutes les catégories professionnelles, peut concerner aussi bien les femmes que les hommes. Parfois difficile à identifier, il peut avoir de lourdes conséquences pour la victime. Dans ce contexte, les managers peuvent être des personnes-ressources pour aider un collaborateur en souffrance. Comment réagir ? Quels sont les leviers d’action à leur disposition ? Tour d’horizon des bonnes pratiques à adopter pour lutter efficacement contre le harcèlement sexuel en entreprise.
[1] « Les Françaises face au harcèlement sexuel au travail, entre méconnaissance et résignation », IFOP, 28/02/18.
Selon le Code du travail, est qualifié de harcèlement sexuel les « propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou créent une situation intimidante, hostile ou offensante ». Le texte précise également qu’est assimilée au harcèlement sexuel « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle »[2].
Le harcèlement sexuel couvre ainsi un large spectre de comportements, qui peuvent prendre diverses formes : remarques déplacées sur l’apparence, propos suggestifs, questions intrusives, contacts physiques non désirés, propositions sexuelles, envoi de messages ou d’images à caractère sexuel…
Identifier les comportements problématiques
Pour les managers, la première difficulté réside dans la détection d’une situation de harcèlement sexuel. En effet, certains de ces comportements peuvent sembler à première vue anodins, être confondus avec de la séduction. Cependant, la séduction, qui repose sur le consentement mutuel et le respect, se distingue nettement du harcèlement qui, lui, s’impose à l’autre sans considération de son refus ou de son malaise. Entre les deux, certains comportements inappropriés (remarques sur l’apparence, familiarités excessives) peuvent constituer les prémices d’une situation de harcèlement, s’ils persistent malgré les signaux de rejet.
Le manager doit également être attentif aux formes plus subtiles ou normalisées de harcèlement sexuel, parfois minimisées sous couvert d’humour ou de traditions d’entreprise. Blagues grivoises récurrentes, affichage de contenus à caractère sexuel, rituels d’intégration humiliants… Ces comportements peuvent créer un environnement de travail hostile, même en l’absence de victime directement ciblée.
Plusieurs signes peuvent alerter les managers : changement soudain de comportement d’un collaborateur (repli sur soi, irritabilité, absentéisme inhabituel), détérioration des performances professionnelles, évitement manifeste d’un collègue ou d’un supérieur, ou encore tensions perceptibles au sein d’une équipe. Ces signaux, bien qu’indirects, doivent inciter le manager à être vigilant et à créer les conditions d’un dialogue ouvert.
Le rôle clé du manager dans la lutte contre le harcèlement sexuel
Selon le Code du travail, l’employeur doit prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner »[3]. Dans ce contexte, le manager joue un rôle clé au sein d’un dispositif plus large de prévention et d’action.
Sa mission comporte deux volets essentiels : préventif, en contribuant à créer un environnement de travail respectueux où les comportements inappropriés sont proscrits ; et réactif, en intervenant rapidement lorsqu’un incident est signalé. Pour être efficace, cette action managériale s’inscrit dans une coordination avec les autres acteurs de l’organisation : services RH, médecine du travail, représentants du personnel et référents harcèlement sexuel — obligatoires dans les entreprises de plus de 250 salariés[4].
Malgré ce cadre structuré, intervenir face à des situations de harcèlement sexuel reste complexe. Plusieurs obstacles psychologiques peuvent entraver l’action du manager : relations personnelles avec l’auteur présumé, peur de se tromper, crainte de nuire à l’ambiance d’équipe ou difficulté à qualifier certains comportements ambigus. La minimisation des faits constitue un autre écueil fréquent. « Ce n’est qu’une blague », « Elle est très sensible »… Ces réactions contribuent à banaliser des comportements problématiques. Le manager doit donc être formé à reconnaître ces mécanismes afin d’agir efficacement.
Face à un signalement, comment intervenir ?
Lorsqu’un collaborateur alerte sur une situation de harcèlement sexuel, la première réaction du manager est déterminante. Il doit permettre au collaborateur de s’exprimer en toute liberté, dans un lieu garantissant la confidentialité, sans minimisation des faits ou remise en question. Il est important de noter de façon factuelle le déroulé des évènements, avec, si possible, des repères précis, tels que les dates, heures ou témoins éventuels. Le manager doit ensuite informer la personne des dispositifs existants dans l’entreprise et de ses droits.
Des mesures de protection immédiates peuvent s’avérer nécessaires : aménagement temporaire du poste ou des horaires, afin d’éviter tout contact entre les personnes concernées. Ces mesures, qui ne préjugent pas de la réalité des faits, visent à protéger la personne se disant harcelée.
Le manager doit également transmettre l’information aux personnes compétentes selon le protocole en vigueur : service RH, référent harcèlement, direction. Cette transmission doit respecter la confidentialité, avec l’accord de la personne concernée, sauf si la gravité de la situation impose une action immédiate.
Instaurer une culture de prévention efficace
La prévention reste le meilleur moyen de lutter contre le harcèlement sexuel. Les managers disposent de plusieurs leviers pour instaurer une culture de respect au sein de leurs équipes. La sensibilisation régulière est fondamentale : le manager peut organiser des sessions d’information sur les manifestations du harcèlement sexuel, le cadre légal et les procédures internes. Ces moments contribuent à libérer la parole, en montrant que l’entreprise prend ce sujet au sérieux. L’exemplarité du manager est tout aussi essentielle. Par son comportement quotidien et ses réactions face aux plaisanteries déplacées, il fixe le niveau d’exigence et les limites acceptables dans l’équipe.
Former et soutenir les managers : une nécessité pour agir efficacement
Pour que les managers puissent accompagner au mieux les collaborateurs victimes de harcèlement sexuel, ils doivent être eux-mêmes soutenus par leur organisation. Au-delà d’une simple sensibilisation, les managers ont besoin d’une formation approfondie sur les aspects juridiques, les techniques d’écoute active et la gestion des situations complexes.
Le soutien des RH et de la direction est également essentiel : les managers doivent pouvoir solliciter rapidement un conseil ou un appui lorsqu’ils font face à une situation délicate. Ce soutien peut, par exemple, prendre la forme d’un référent clairement identifié, d’un espace de discussion dédié ou de réunions régulières.
Des groupes d’échanges entre pairs peuvent compléter ce dispositif. Ces espaces permettent aux managers de partager leurs expériences, d’évoquer les situations complexes qu’ils ont rencontrées et de bénéficier de conseils dans un cadre bienveillant. Enfin, les ressources externes (associations spécialisées, consultants, psychologues du travail) représentent un appui précieux, notamment pour les situations les plus sensibles, ou lorsqu’une médiation est nécessaire.
La lutte contre le harcèlement sexuel en entreprise représente ainsi un enjeu majeur, tant sur le plan humain que juridique. Dans ce combat, les managers occupent une position stratégique, à l’interface entre les collaborateurs et l’organisation. Leur efficacité repose sur une connaissance précise du cadre légal, des outils de détection et d’action, ainsi qu’un soutien clair de leur hiérarchie. En formant leurs managers et en leur donnant les moyens d’agir, les organisations font un pas décisif vers des relations de travail plus respectueuses, au bénéfice de tous.
[2] Code pénal, article 222-33.
[3] Code du travail, article L1153-5.
[4] « Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner », travail-emploi.gouv.fr, 26/04/2019.
Nos rendez-vous
Webinaire : « Comment prévenir et gérer le harcèlement sexuel au travail ? » avec Maître Diane
LEMOINE, du cabinet ISSEO Avocats.